Chapitre 13

 

 

Je pris directement la route de la maison, submergée d’émotions contradictoires. Faire l’amour avec Bones avait été une expérience incroyable, et il avait raison. Il me serait impossible de faire comme si rien ne s’était passé. Mais mes sentiments n’étaient pas les seules données de l’équation. Si cela n’avait tenu qu’à moi, je n’aurais été que modérément remuée par le fait d’avoir couché avec lui. Mais la principale raison de ma panique était la réaction qu’aurait ma mère. Je ne pourrais pas lui en parler, jamais. Et cela signifiait que je devais mettre un terme à ma relation avec Bones avant que les choses aillent plus loin.

Lorsque je me garai, deux heures plus tard, mes grands-parents étaient sur le porche en train de boire du thé glacé. Ils semblaient sortir tout droit d’une carte postale illustrant l’Amérique rurale, avec leurs cheveux blancs, leurs vêtements simples et leurs visages burinés par le temps.

— Salut, leur dis-je distraitement.

Ma grand-mère émit un sifflement, immédiatement suivi par un mugissement d’indignation de la part de mon grand-père. Je les regardai en clignant des yeux.

— Qu’est-ce qui vous arrive ?

Curieuse, j’observai mon grand-père qui avait rougi jusqu’aux oreilles. Après tout, ce n’était pas la première fois que je découchais, et ils ne m’avaient jamais rien reproché à ce sujet. Ils avaient décidé de ne rien me demander à propos de mes horaires décalés.

— Justina, viens ici, ma fille ! dit-il en se levant, sans prêter la moindre attention à ma question.

Quelques instants plus tard, ma mère arriva, son visage aussi perplexe que le mien.

— Qu’y a-t-il ? Quelque chose ne va pas ?

Il lui répondit, toujours tremblant de colère :

— Regarde-la. Mais regarde-la ! Ne me dis pas qu’elle ne faisait rien de mal la nuit dernière ! Elle frayait avec le diable, voilà ce qu’elle faisait !

Je blêmis et me demandai comment il avait bien pu deviner que j’avais couché avec un vampire. Des crocs m’étaient-ils poussés pendant la nuit ? Je passai un doigt sur mes dents, mais elles étaient aussi normales que d’habitude.

Le geste ne fit qu’augmenter sa colère.

— Ne me nargue pas, gamine ! Tu te prends pour qui ?

Courageusement, ma mère prit aussitôt ma défense.

— Oh, papa, tu ne comprends pas. Elle...

Sa voix s’étrangla brusquement et elle me regarda d’un air choqué.

— Quoi ? demandai-je, effrayée.

— Ton cou...

Terrifiée, je courus jusqu’à la salle de bains. Avais-je des marques de morsure ? Bon sang, m’avait-il mordue sans s’en rendre compte ?

Mais après avoir vu mon reflet, je compris la raison de leur réaction. J’avais quatre – non, plutôt cinq – suçons aux contours irréguliers répartis sur mon cou, de différentes teintes de bleu. De simples suçons, parfaitement reconnaissables, et non des marques laissées par des dents de vampire. J’ouvris la chemise de Bones et je vis que mes seins présentaient des marques similaires. Heureusement que cette chemise n’était pas décolletée, sinon ils se seraient tous évanouis sur-le-champ !

— Je sais ce que ça veut dire ! rugit Papy Joe depuis le porche. Tu devrais avoir honte de courir les garçons sans être mariée. Honte !

— Oui, honte ! répéta ma grand-mère.

J’étais heureuse de voir qu’il y avait encore des sujets sur lesquels ils étaient d’accord après quarante-trois ans de mariage.

Je montai dans ma chambre sans leur répondre. Il était plus que temps que je déménage. Peut-être que mon futur appartement était libre, désormais.

Je ne fus pas surprise de voir ma mère me suivre.

— Qui est-ce, Catherine ? demanda-t-elle aussitôt après avoir fermé la porte.

Il fallait bien que je lui réponde quelque chose.

— Un garçon que j’ai rencontré en chassant les vampires. On a... disons... des choses en commun. Lui aussi les pourchasse pour les tuer.

Pas la peine d’entrer davantage dans les détails, et de lui dire par exemple qu’il en était un lui-même.

— Est-ce que... c’est sérieux entre vous ?

— Non !

Ma réponse avait été si véhémente qu’elle fronça les sourcils. Super, j’avais encore réussi mon coup.

Non, on ne peut pas avoir de relation, parce qu’il est techniquement mort, mais si tu savais comme il est beau, et il fait l’amour comme un dieu.

— Alors pourquoi... ?

Elle semblait sincèrement étonnée.

Je m’allongeai sur mon lit en soupirant. Comment décrire à sa mère un désir sexuel incontrôlable ?

— C’est juste arrivé comme ça. Ce n’était pas prévu.

Un éclair horrifié passa sur son visage.

— Vous vous êtes protégés au moins ?

— Ce n’était pas nécessaire, répondis-je honnêtement sans réfléchir.

Elle porta la main à sa bouche.

— Comment ça, pas nécessaire ? Tu pourrais tomber enceinte ! Ou attraper une maladie !

Je fis un gros effort pour ne pas lever les yeux au ciel. Je me contentai de me dire en moi-même : Rassure-toi, maman. C’est un vampire, et un vieux, donc aucun risque de grossesse ni de maladie. Puis je lui répondis simplement de ne pas s’en faire.

— Ne pas m’en faire ? Je vais te dire ce que je vais faire. Je vais prendre la voiture et rouler jusqu’à une ville où on ne nous connaît pas pour t’acheter des préservatifs ! Pas question que tu te retrouves enceinte à ton âge comme je l’ai été – ou pire. Il y a le sida de nos jours. Et la syphilis. Et la blennorragie. Et d’autres maladies dont je ne peux même pas prononcer le nom ! Si tu ne peux pas t’empêcher d’avoir des aventures de ce genre, au moins tu seras en sécurité.

Elle attrapa son sac à main, une lueur de détermination dans les yeux, et se dirigea vers la porte.

— Mais maman...

Je la suivis dans l’escalier en essayant de la convaincre de ne pas y aller, mais elle ne m’écouta pas. Mes grands-parents m’observaient depuis le porche, leurs visages aussi sombres qu’un ciel d’orage, puis ma mère monta dans sa voiture et partit. Il était plus que temps que j’appelle mon futur propriétaire.

 

Ce dernier, monsieur Joseph, me dit que je pouvais emménager le week-end suivant. J’avais vraiment hâte. Je pris une douche, je m’épilai, je me brossai les dents, histoire de passer le temps et surtout de ne pas penser à ce que Bones pouvait être en train de faire. Peut-être que pour lui cette nuit n’avait rien eu d’exceptionnel, et que je n’aurais pas besoin de lui dire que cela ne pouvait pas se reproduire. Après tout, il avait deux cents ans de plus que moi et c’était un ancien gigolo. J’étais loin de l’avoir déniaisé.

Vers 18 heures, une voiture qui ne semblait pas être celle de ma mère s’arrêta devant chez nous. Par curiosité, je regardai par la fenêtre et vis que c’était un taxi. Une tête familière apparut : c’était Bones.

Que faisait-il ici ? Paniquée, je vis que ma mère n’était pas encore rentrée. Si elle arrivait et qu’elle le voyait...

Je dévalai les escaliers si précipitamment que je trébuchai et m’étalai de tout mon long sur le palier au moment même où mon grand-père ouvrait la porte.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il à Bones.

J’étais en train d’échafauder en catastrophe une histoire – je n’avais qu’à dire que Bones était un ami étudiant – lorsque j’entendis la réponse tout à fait polie qu’il adressa à mon grand-père.

— Je suis une gentille jeune fille et je viens chercher votre petite-fille pour le week-end.

Hein ?

Ma grand-mère vint à son tour jeter un coup d’oeil, et resta bouche ouverte en voyant Bones dans l’embrasure de la porte.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle en écho à mon grand-père.

— Je suis une gentille jeune fille et je viens chercher votre petite-fille pour le week-end, répéta-t-il en la regardant droit dans les yeux tandis qu’un éclair vert passait dans les siens.

Le regard de ma grand-mère prit rapidement le même aspect vitreux que celui de son mari, puis elle hocha la tête.

— Dans ce cas, c’est parfait. Vous êtes une gentille jeune fille. J’espère que vous aurez une bonne influence sur elle et que vous la remettrez dans le droit chemin. Elle a des marques de luxure sur le cou et elle n’est rentrée que dans le courant de l’après-midi.

Doux Jésus, j’aurais voulu disparaître dans un trou de souris. Bones étouffa un rire et inclina solennellement la tête.

— N’ayez pas d’inquiétude, mamie. On va passer le week-end avec un groupe d’étude de la Bible pour exorciser le démon qui est en elle.

— Excellente idée, dit mon grand-père d’un ton approbateur, ses yeux toujours aussi vides. C’est ce qu’il lui faut. Elle a toujours eu besoin d’être dressée.

— Allez donc boire une tisane pendant qu’on fait les bagages, tous les deux. Allez.

Ils s’en retournèrent, les yeux toujours fixes, et se dirigèrent vers la cuisine. Bientôt, j’entendis l’un d’eux verser de l’eau dans une bouilloire. Dire qu’ils ne buvaient jamais de tisane, d’ordinaire.

— T’es malade de te pointer ici ! murmurai-je d’un ton furieux. Si seulement les films disaient vrai, tu ne pourrais pas entrer dans une maison sans y être invité !

Ma remarque le fit rire.

— Désolé, ma belle. Les vampires peuvent aller partout où ils le veulent.

— Qu’est-ce que tu viens faire chez moi ? Pourquoi tu as fait croire à mes grands-parents que tu étais une fille ?

— Une gentille fille, rectifia-t-il avec un sourire. Il ne faudrait pas qu’ils croient que tu fréquentes de la mauvaise graine, hein ?

J’étais très pressée de le voir partir. Si ma mère revenait, il faudrait plus qu’un regard hypnotique pour la convaincre qu’il était autre chose que ce qu’elle verrait – son pire cauchemar, en chair et en os.

— Il faut que tu t’en ailles. Ma mère va faire une crise cardiaque si elle te voit.

— Je ne suis pas venu sans raison, dit-il calmement. Ce n’est pas que je brûle d’envie que tu t’impliques encore plus dans cette histoire, mais hier soir tu as beaucoup insisté pour que je te tienne au courant dès que j’aurais découvert l’emplacement de la boîte de nuit. C’est fait. Elle se trouve à Charlotte, et j’y pars ce soir en avion. J’ai acheté un billet pour toi au cas où tu voudrais venir. Dans le cas contraire, j’irai convaincre tes grands-parents que je ne suis jamais venu. Ça t’évitera d’avoir à expliquer ma présence à ta mère. C’est à toi de voir, mais il faut te décider maintenant.

J’avais déjà pris ma décision, mais j’étais encore secouée par la manière dont la scène aurait pu tourner.

— Pourquoi n’as-tu pas simplement appelé ?

Il fronça les sourcils.

— Je l’ai fait. Ton grand-père m’a raccroché au nez dès que j’ai demandé à te parler. Tu devrais vraiment prendre un portable. Ou leur rappeler que tu as vingt-deux ans et qu’il n’y a rien de choquant à ce qu’un gentleman te téléphone.

Je ne fis pas de commentaire sur le terme « gentleman ».

— Ouais, bon, ils sont vieux jeu, et ils n’ont pas vraiment apprécié l’état de mon cou. D’ailleurs, à ce sujet, ce n’était pas très malin de me laisser toutes ces marques !

Un sourire se dessina sur ses lèvres.

— Pour être honnête, Chaton, si je ne guérissais pas de manière surnaturelle, je serais couvert des mêmes marques, et mon dos serait sillonné de cicatrices creusées par tes ongles.

Mieux valait changer de sujet. Et vite.

— Pour ce soir, dis-je précipitamment, tu sais bien que j’irai avec toi. Je t’ai dit que je voulais arrêter Hennessey et je ne plaisantais pas. Je vois que tu as fait vite pour localiser la boîte.

— Je le sais depuis ce matin, en fait, dit-il en s’appuyant contre le chambranle. J’ai fait des recherches pendant que tu dormais. Je voulais t’en parler à ton réveil, mais tu as filé comme si tous les chiens de l’enfer étaient à tes trousses sans me laisser l’occasion de te le dire.

Je dus baisser la tête. Le regarder dans les yeux était au-dessus de mes forces.

— Je n’ai pas envie de parler de ça. Je ne suis pas bête au point de laisser mes... (J’avais du mal à trouver mes mots.)... mes doutes sur ce qui s’est passé la nuit dernière gâcher notre chance d’arrêter un meurtrier. Quoi qu’il en soit, mieux vaut ne plus en parler.

Il avait toujours ce même demi-sourire.

— Des doutes ? Oh, Chaton. Tu me brises le coeur.

À ces mots, je relevai la tête. Se moquait-il de moi ? Je n’en étais pas sûre.

— Concentrons-nous sur nos priorités. Si tu veux, on... on en parlera plus tard. Après être allés à la boîte. Attends ici le temps que je prépare mes affaires.

Il m’ouvrit la porte.

— Ce n’est pas la peine, j’ai amené les vêtements qui te seront nécessaires. Après toi.

 

— C’est la première fois que je te vois ici, mon coeur, dit le vampire en se glissant sur le siège voisin du mien. Moi, c’est Charlie.

Bingo ! J’étais si contente que je faillis battre des mains. Nous avions atterri à Charlotte à 22 heures, pris notre chambre à l’hôtel à 23 heures, avant d’arriver au Club Flamme juste avant minuit. Cela faisait maintenant deux heures que je me trouvais dans cet endroit répugnant, et avec la robe plus que suggestive que je portais, je n’avais pas eu le loisir de m’ennuyer depuis mon arrivée.

— Enchantée de te rencontrer, répondis-je. (J’évaluai mentalement sa puissance. Ce n’était pas un Maître, mais il était quand même fort.) Tu te sens seul, mon chou ?

Il passa un doigt sur mon bras.

— Tout juste, ma poule.

Charlie avait l’accent du Sud. Il avait les cheveux bruns, un sourire engageant et une carrure athlétique. Sa voix traînante et son apparente timidité le rendaient encore plus sympathique. Comment pouvait-on être mauvais quand on était doté d’un accent aussi agréable à l’oreille ?

Le type à ma gauche, qui m’avait draguée toute la soirée, lui lança un regard agressif.

— Hé, c’est moi qui l’ai vue en premier...

— Écoute, laisse tomber et rentre chez toi, l’interrompit Charlie, toujours souriant. Dépêche-toi. J’ai horreur d’avoir à me répéter.

Si j’avais été à la place de mon voisin, j’aurais perçu la menace cachée sous les manières affables.

D’un autre côté, je n’étais ni saoule, ni stupide, ni totalement inconsciente du danger auquel je faisais face.

— T’as pas dû entendre, dit l’homme d’une voix pâteuse en posant lourdement la main sur Charlie. J’ai dit que je l’avais vue en premier.

Charlie ne se départit pas de son sourire. Il prit l’homme par le poignet et le tira hors de sa chaise.

— Pas la peine de se battre ni de faire du grabuge, dit-il en m’adressant un clin d’oeil. On va te jouer à pile ou face, ma chérie. Je me sens en veine.

Sur ces mots, il sortit du bar en tirant l’homme derrière lui. Personne ne réagit, ce qui en disait long sur la classe de l’endroit.

Je regardai autour de moi, indécise. Si j’essayais d’arrêter Charlie, je me trahirais et je ferais perdre à Bones toute chance de trouver Hennessey. Une fois de plus. Je ne fis donc rien. Je sirotai mon verre, en proie à une vague sensation de malaise. Lorsque Charlie revint, il avait le même sourire cordial, et il était seul.

— On dirait que j’ai de la chance ce soir, dit-il. Reste à savoir si tu vas me rendre encore plus chanceux.

J’essayai de localiser un battement de coeur à l’extérieur de la boîte, mais le bruit de la salle était trop fort. Quoi qu’il ait pu se passer, c’était terminé. Je ne pouvais rien faire d’autre que continuer.

— Bien sûr, mon chou. Il me faudrait juste un petit quelque chose pour m’aider à payer mon loyer.

Ma voix était cajoleuse, parfaitement détendue à force d’entraînement. L’histoire du loyer était un hommage à Stéphanie. C’était morbide, mais tout à fait approprié.

— Il est de combien ton loyer, mon coeur ?

— Cent dollars, gloussai-je en me tortillant sur ma chaise pour faire remonter ma robe. Tu ne regretteras pas ta générosité, promis.

Le regard de Charlie s’attarda sur mes cuisses, que j’exhibai généreusement, puis il inspira profondément. Sans tous ces mois d’entraînement, je n’aurais pu m’empêcher de rougir en pensant à ce qui était en train de lui passer par la tête.

— Pour autant que je puisse en juger, ma douce, c’est une affaire.

Il tendit la main et je la saisis en sautant de ma chaise.

— Charlie, c’est ça ? Fais-moi confiance, ça va être une nuit inoubliable pour toi.

Tandis que Charlie conduisait, je remerciai le ciel qu’il n’ait pas tenté sa chance directement dans la boîte. Mon rôle d’entraîneuse avait des limites. Bones nous suivait discrètement et lui et moi espérions que Charlie me conduirait jusque chez lui, ce qui était contraire à la règle numéro un de Bones : ne jamais me laisser entraîner dans l’antre d’un vampire. Les informations que nous allions peut-être soutirer à Charlie valaient bien le risque de tomber sur des colocataires potentiels.

— Ça fait longtemps que tu es dans le métier, mon chou ? demanda Charlie comme s’il discutait de la météo.

— Oh, environ un an, répondis-je. Je viens d’arriver dans le coin, mais j’économise pour changer de région.

— Tu ne te plais pas à Charlotte ? dit-il en entrant sur l’autoroute.

Je mis une pointe de nervosité dans ma voix.

— Où on va ? Je pensais que tu allais te garer quelque part sur le bord de la route, ou un truc comme ça.

— Un truc comme ça, tu ne pouvais pas mieux dire, dit-il en riant doucement. Fais-moi confiance.

Comment réagirait une vraie prostituée ?

— Hé, va pas trop loin. J’ai pas envie de marcher toute la nuit pour revenir à ma voiture.

Charlie tourna la tête et me regarda bien en face. Ses yeux brillaient d’un feu émeraude et il avait perdu son attitude amicale.

— Ferme ta gueule, salope.

D’accord. L’heure n’était visiblement plus aux amabilités ! D’un côté, j’aimais autant. J’avais horreur de faire la causette.

Je hochai la tête avec une expression que j’espérais figée et regardai droit devant moi sans dire un mot. Une réaction moins passive aurait éveillé ses soupçons.

Charlie sifflotait « Amazing Grace[6] » en conduisant. Je faillis me tourner brusquement vers lui pour lui dire « Tu plaisantes ou quoi ? ». Il aurait pu choisir une chanson plus appropriée, comme « Shout at the Devil[7] » ou « Don’t Fear the Reaper[8] » ! Certaines personnes n’avaient aucune idée de la bande-son qui convenait pour accompagner un enlèvement.

Il s’arrêta quarante minutes plus tard devant un minuscule immeuble un peu à l’écart, dans une rue aux bâtiments identiques. Le quartier n’était pas très riche, mais ce n’était pas non plus un ghetto. Pas le genre de coin à attirer les touristes.

— Te voilà chez toi, mon poussin. (Il sourit en coupant le contact.) Enfin, pour un temps. Ensuite, tu quitteras la ville, comme tu le souhaitais.

Intéressant. Comme il ne m’avait pas autorisée à parler, je continuai à feindre la catalepsie. Je bouillais de colère en pensant à toutes les filles qui s’étaient vraiment retrouvées dans cette situation. L’impureté de mon sang avait ses avantages.

Charlie fit le tour de la voiture, ouvrit ma portière et me tira brutalement hors du véhicule. Je le laissai me pousser dans la cage d’escalier jusqu’au premier étage. Il ne prit même pas la peine de me tenir de sa main libre tandis qu’il cherchait ses clés. C’est ça, mon grand. Ne t’occupe pas de moi, je ne suis plus bonne à rien.

Il ouvrit la porte et me poussa à l’intérieur. Je fis semblant de trébucher, ce qui me permit de me baisser et d’observer l’appartement, mais aussi de positionner ma main plus près de mes bottes.

Charlie ne fit rien pour m’aider à me relever. Il m’enjamba et se jeta sur le canapé.

— J’en ai une autre, Dean, appela-t-il. Viens voir.

Il y eut un grognement, un craquement de sommier, puis un homme – sans doute Dean – apparut.

En le voyant, je faillis pousser un cri, car il était nu comme un ver. Je dus me forcer à ne pas détourner instinctivement les yeux. Bones n’était que le deuxième homme que j’avais vu en tenue d’Adam, et avec Danny les choses s’étaient passées si vite que cela comptait à peine. Je me sentais gênée. C’était bien le moment.

Dean se pencha au-dessus de moi et m’obligea à tourner la tête pour voir mon visage. Ses bijoux de famille se balançaient si près de moi que j’eus du mal à me retenir de rougir. Et à ne pas reculer de dégoût.

— Elle est magnifique.

— C’est moi qui l’ai trouvée, je passe en premier, grogna Charlie.

Ces mots firent disparaître ma gêne instantanément. L’espèce d’enfoiré. Lui et son acolyte allaient y passer, mais pas comme ils l’imaginaient.

J’entendis des pas venant de l’extérieur. Dean se retourna vers Charlie.

— T’attends quelqu’un...

Je sortis mon pieu de ma botte à l’instant même où Bones enfonça la porte d’un coup de pied. La première chose que je visai fut l’entrejambe de Dean, peut-être par rancune, ou parce que c’était la cible la plus proche de moi.

Il émit un hurlement aigu et tenta de m’agripper. Je me dégageai en roulant sur le côté tout en sortant mon autre pieu pour le lui lancer dans le dos. Il tomba à genoux et je bondis sur lui en une sorte de rodéo macabre.

Dean ruait tant qu’il le pouvait, mais j’attrapai le pieu à deux mains et me penchai en avant pour l’enfoncer de toutes mes forces. Dean s’aplatit sous mon poids. Pour faire bonne mesure, j’appuyai encore une fois sur l’arme et je me relevai en lui donnant un dernier coup de pied qu’il n’était plus en mesure de sentir.

— On dirait que t’es passé en premier quand même, pauvre merde.

Quand je regardai enfin du côté de Bones, je constatai qu’il avait déjà maîtrisé Charlie. Il le hissa sur le canapé et l’installa sur ses genoux. La scène était plutôt comique, si l’on omettait la lame impressionnante qui sortait de la poitrine de Charlie.

— Heureusement que je n’avais pas besoin de l’autre, ma belle, me dit Bones d’un ton sec.

Je haussai les épaules. C’était un peu tard.

— Tu n’avais qu’à me le dire.

Charlie me regardait, abasourdi.

— Tes yeux..., parvint-il à articuler.

Je n’avais pas besoin de miroir pour deviner qu’ils étaient devenus verts. Rien de tel qu’une bonne bagarre pour les faire luire. En un sens, c’était une sorte d’érection optique. Inévitable, passé un certain point.

— Ils sont beaux, hein ? dit Bones d’une voix doucereuse. Ils contrastent tellement avec les battements de son coeur. Ne sois pas gêné d’être si étonné. Ça m’a fait le même effet la première fois que je les ai vus.

— Mais ils sont... elle ne peut pas...

— Oh, ne te fais plus de bile à son propos, mon pote. Maintenant, ton plus gros problème, c’est moi.

À ces mots, Charlie reporta toute son attention sur Bones. Il gigota, mais le mouvement de la lame le ramena au calme.

— Chaton, il y a quelqu’un dans l’autre pièce. Quelqu’un d’humain, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de danger.

Je sortis trois petits couteaux de jet de ma botte et je partis vérifier. J’entendais également un battement de coeur au fond de l’appartement. Il venait de la chambre d’où était sorti Dean. Avaient-ils un acolyte à sang chaud ?

En approchant de la pièce, je me mis à genoux et continuai à avancer en rampant. Je ne voulais pas risquer de recevoir une balle dans la tête. J’espérais que le tireur, s’il y en avait un, viserait plus haut, pensant m’atteindre à la tête, ce qui me permettrait de le prendre de vitesse avant qu’il ait le temps de tirer. Aurais-je le cran de tuer un autre être humain ? Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir.

Toujours à ras du sol, je jetai un coup d’oeil prudent derrière le chambranle, puis je me précipitai dans la chambre en criant.

— Appelle une ambulance !

La fille regardait le plafond, les yeux vides. Je vis au premier coup d’oeil qu’elle n’avait pas d’armes. Elle n’était recouverte que de son propre sang. Ses bras et ses jambes étaient largement écartés et elle ne bougeait pas. Comment l’aurait-elle pu ? On lui avait ordonné de ne pas bouger.

Sous le choc, je lâchai mes couteaux. Je n’arrivais pas à détourner le regard. Cela faisait des années que je tuais des vampires, mais c’était la première fois que je voyais l’une de leurs victimes. Ce que je pensais savoir n’était rien à côté de la réalité. Comment pouvait-on être aussi cruel ? Je regardai son cou, ses poignets, puis le haut de ses cuisses. Tous présentaient des marques très nettes de perforation d’où suintait encore du sang.

En voyant ses blessures, je sortis de ma stupeur. J’attrapai les draps et j’entrepris de les déchirer pour en faire des bandages. La fille ne réagit même pas lorsque je pansai toutes ses plaies à l’exception de celle qu’elle avait au cou. J’appuyai mes doigts sur les perforations et je la couvris à l’aide de ce qui restait du drap avant de la porter hors de la pièce.

— Il faut l’emmener à l’hôpital...

— Attends, Chaton.

Bones me lança un regard impénétrable tandis que je revenais dans la pièce principale de cette annexe de l’enfer. C’est à peine si Charlie jeta un coup d’oeil à la silhouette que je tenais dans mes bras. Il semblait plus inquiet pour son propre sort.

— Mais elle a perdu beaucoup de sang ! Et ce n’est pas le pire !

Bones n’avait pas besoin d’utiliser son sens aigu de l’odorat pour savoir ce que j’entendais par là. La perte de sang n’était pas irréversible. Les blessures psychologiques, par contre, ne guériraient peut-être jamais.

— Si tu l’emmènes à l’hôpital, tu signes son arrêt de mort, me répondit-il d’une voix posée. Hennessey enverra quelqu’un pour la faire taire, elle en sait trop. Je vais m’occuper d’elle, mais d’abord laisse-moi en terminer avec lui.

Charlie fit pivoter sa tête autant qu’il le pouvait.

— Je ne sais pas qui tu es, mon gars, mais tu es en train de faire une terrible erreur. Si tu te tires tout de suite, tu vivras peut-être assez longtemps pour regretter ce que tu viens de faire.

Bones partit d’un rire moqueur.

— Bien envoyé, mon pote ! Je préfère ça aux supplications que certains de tes prédécesseurs m’adressaient dès la première minute – je te laisse imaginer à quel point c’est barbant. Tu as raison, on n’a pas fait les présentations, même si je connais déjà ton nom. Moi, je m’appelle Bones.

À voir l’expression dans les yeux de Charlie, je compris que ce nom ne lui était pas inconnu. Un jour, il faudrait que je demande à Bones comment il s’était taillé une telle réputation. Ceci dit, je n’étais pas vraiment sûre de vouloir le savoir.

— Il n’y a aucune raison de se comporter comme des sauvages. (Charlie avait repris son ton traînant et charmeur.) Hennessey m’a dit que tu essayais de le coincer, mais réfléchis un peu. Tu ne peux pas le battre, alors pourquoi ne pas te joindre à lui ? Bon Dieu, il adorerait avoir quelqu’un comme toi dans son équipe. C’est un gros gâteau qu’il a à partager, et je ne connais personne qui n’en voudrait pas une part.

Bones le fit pivoter de manière à pouvoir le regarder.

— Vraiment ? Je ne suis pas sûr qu’Hennessey veuille de moi. J’ai tué pas mal de ses copains, ça risque de l’avoir légèrement contrarié.

Charlie sourit.

— Ouais, bon, pour lui, ça fait office d’entretien d’embauche ! Te fais pas de bile pour ça. À mon avis, il doit se dire que s’ils ont été assez bêtes pour se faire tuer, c’est qu’ils ne lui étaient pas si utiles que ça.

— Le temps presse, dis-je d’un ton brusque en posant la fille sur le sol. Elle se vide de son sang pendant que vous faites ami-ami !

— Une seconde, ma puce. Je suis en train de parler à Charlie. Revenons à ce que tu disais, mon pote. Un bon gros gâteau, c’est ça ? Il va falloir m’en dire un peu plus si tu veux avoir la vie sauve. Je suis sûr que ton cadavre pourrait me rapporter une belle somme.

— Pas aussi belle que si tu passes dans le camp d’Hennessey. (Il fit un signe de tête dans ma direction.) Tu vois la gamine que ton chat sauvage a dans les bras ? Chacune de ces petites poulettes vaut dans les soixante mille dollars, tout compris. D’abord, on les arrange un peu avant de les proposer aux humains. Ensuite, on les met aux enchères pour les vampires. Un repas complet, sans vaisselle à faire ! Et, après ça, elles constituent un plat idéal pour les charognards ! Au bout du compte, ces filles n’auront jamais été aussi utiles au cours de leur vie...

— Espèce d’ordure ! hurlai-je en me dirigeant vers lui d’un pas décidé, mon pieu à la main.

— Reste où tu es, et si je dois encore te répéter de la fermer, je t’éclate ta putain de tête ! me dit Bones d’une voix menaçante.

Je m’arrêtai net. Une lueur dangereuse brillait dans ses yeux, une lueur que je n’avais encore jamais vue dans son regard depuis notre rencontre. Je fus tout à coup mal à l’aise. Essayait-il encore de soutirer des informations à Charlie, ou bien était-il en train de se laisser persuader ?

— C’est mieux. (Bones reporta son attention sur Charlie.) Alors, tu disais ?

Charlie rit d’un air complice.

— Waouh ! Plutôt nerveuse, ta copine, hein ? Surveille bien ta quincaillerie si tu ne veux pas qu’elle s’en fasse un pendentif !

Bones rit à son tour.

— Aucun risque, mon pote. Elle aime trop la façon dont je m’en sers pour m’en priver.

J’avais la nausée et je commençais à avoir mal à la tête. Pourquoi gaspillait-il autant de temps alors que la fille se vidait de son sang sur la moquette ? Mon Dieu, et si c’était là le vrai Bones ? Après tout, je ne le connaissais pas si bien que ça... Il avait peut-être eu l’intention d’en arriver là dès le départ, et il avait dû trouver ça très amusant de m’enrôler pour l’aider. La voix de ma mère retentit dans ma tête : « Ils ont tous le mal en eux, Catherine. Ce sont des monstres, des monstres...»

— Soixante mille dollars la fille, c’est pas mal, mais divisés en combien de parts ? Ça ne fait plus tant que ça si on est nombreux.

Charlie se détendit autant que possible compte tenu de la lame qui lui traversait le corps.

— S’il n’y avait que quelques dizaines de filles, oui, mais là on compte en centaines. On n’est qu’une vingtaine à être impliqués, et Hennessey étend ses activités. Il s’attaque au monde entier. Internet nous offre toute une nouvelle clientèle, si tu vois ce que je veux dire. Mais il veut que la structure interne reste de petite taille. Juste assez pour faire tourner tranquillement son business. T’en as pas marre de gagner des clopinettes en changeant de boulot tout le temps ? Les revenus fixes, y a que ça de vrai. On a épuisé notre dernier lot de filles et il faut qu’on renouvelle nos stocks. Quelques mois de travail, et ensuite tu n’as plus qu’à t’asseoir et à regarder grossir ton compte en banque. C’est sympa, crois-moi. Très sympa.

— Je te crois volontiers. C’est un tableau tentant que tu me peins là, mon pote. Le problème, c’est qu’il y a deux ou trois types, parmi les hommes d’Hennessey, qui ne m’apprécient pas trop. Alors dis-moi, qui d’autre est dans la partie ? Tu comprends, ils ne voudront pas de moi si j’ai couché avec une de leurs femmes ou dérouillé leur frangin.

Charlie cessa de sourire et son expression se figea. Quand il reprit la parole, sa voix avait perdu ses inflexions du Sud profond.

— Va te faire foutre.

À ces mots, Bones se redressa.

— Comme tu veux. (Son ton aussi était devenu plus cassant.) Je me disais bien que tu allais finir par comprendre. En tout cas, je te dois des remerciements, mon pote. Tu m’as quand même été utile. Vous n’êtes que vingt, à ce que tu as dit ? C’est moins que ce que je pensais, et j’ai une assez bonne idée de qui sont les autres.

Mon soulagement fut si brutal que je chancelai. Bon sang, dire que pendant une seconde je l’avais pris au sérieux. J’avais l’impression de m’être fait rouler en beauté.

— Chaton, je ne perçois la présence de personne d’autre, mais fais quand même le tour du bâtiment pour bien t’en assurer. Enfonce les portes au besoin.

Je désignai la fille, qui n’avait pas bougé.

— Et elle ?

— Elle tiendra encore un peu.

— Si tu me tues, ce n’est pas seulement Hennessey que tu auras aux trousses, siffla Charlie. Il a des amis, et ils sont bien trop haut placés pour toi. Ils te feront regretter d’être venu au monde.

Je quittai la pièce, mais j’entendis la réponse de Bones alors que j’entrais dans l’appartement voisin.

— En ce qui concerne Hennessey et ses amis, je croyais qu’ils s’en fichaient des types assez débiles pour se faire tuer par moi ? Ce sont tes propres paroles, mon pote. J’imagine que tu dois les regretter.

Je fis rapidement le tour de l’immeuble, et je ne trouvai personne. Il n’y avait que quatre appartements, tous vides. Je soupçonnais le bâtiment de n’être qu’une couverture. Un seul appartement était occupé, celui du regretté Dean et de Charlie, qui n’allait pas tarder à rejoindre son acolyte. Mais pour les passants, c’était un immeuble de location tout ce qu’il y avait de banal. Moi aussi, un jour, j’aimerais bien voir quelque chose de réellement banal. Ça me changerait de mon quotidien.

Lorsque je revins dix minutes plus tard, la fille était toujours étendue sur le sol, mais Bones et Charlie avaient disparu.

— Bones ?

— Par ici, appela-t-il.

Sa voix venait de la chambre de Dean. Je m’y rendis d’un pas plus assuré que tout à l’heure, mais je ne pouvais m’empêcher d’avancer avec prudence. Méfiance aurait pu être mon deuxième prénom.

Arrivée dans la chambre, j’écarquillai les yeux devant le spectacle qui s’offrait à moi. Bones avait mis Charlie au lit. Pas sur le lit, mais à l’intérieur du lit. Bones en avait tordu le cadre métallique et l’avait enroulé autour de son prisonnier. Le couteau en argent était toujours enfoncé dans la poitrine de Charlie, et il était maintenu en place par une barre tordue qui faisait office de cale.

Il y avait trois récipients aux pieds de Bones. Même avec mon odorat peu développé, je devinai ce qu’ils contenaient.

— Maintenant, mon pote, je vais te faire une offre. Écoute-moi bien car je ne me répéterai pas. Dis-moi les noms de tous tes collègues et tu mourras vite et proprement. Si tu refuses... (Il souleva l’un des récipients et en versa le contenu sur Charlie. Ses vêtements absorbèrent le liquide et l’odeur acre de l’essence emplit l’air.) Tu agoniseras jusqu’à ce que les flammes t’aient totalement réduit en cendres.

— T’as trouvé ça où ? demandai-je à propos de l’essence, bien que le moment soit mal choisi.

— Sous l’évier de la cuisine. J’étais sûr qu’ils auraient quelque chose de ce genre à portée de la main. Tu ne croyais quand même pas qu’ils allaient mâcher le travail aux experts médico-légaux une fois leur sale boulot terminé !

Je n’étais pas encore allée aussi loin dans mes réflexions. Visiblement, j’avais une longueur de retard depuis le début de la soirée.

Charlie lança à Bones un regard glacial et rempli de haine.

— Je te le dirai en enfer, et on s’y retrouvera bientôt.

Bones craqua une allumette et la laissa tomber sur Charlie. Ce dernier prit feu immédiatement. Il hurla et essaya de se débattre, mais le cadre du lit était trop solide. Ou bien peut-être était-il déjà affaibli par les flammes.

— Mauvaise réponse, mon pote. Je ne bluffe jamais. Viens, Chaton, on s’en va.

Au Bord de la Tombe
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